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VICHY: René CHABRIER, Marc JUGE, Henri MOREAU,  fusillés le 24 mars 1944 à Clermont-Ferrand.
VICHY: René CHABRIER, Marc JUGE, Henri MOREAU, fusillés le 24 mars 1944 à Clermont-Ferrand.

VICHY: René CHABRIER, Marc JUGE, Henri MOREAU, fusillés le 24 mars 1944 à Clermont-Ferrand.

VICHY: René CHABRIER, Marc JUGE, Henri MOREAU, fusillés le 24 mars 1944 à Clermont-Ferrand.

René CHABRIER

Marc JUGE

Henri MOREAU

A noter: Aux archives départementales, les n° du journal « La patrie de L’Allier » : 26 et 28 septembre, 2, 6 et 16 octobre 1944, sont les seuls disponibles, et pour certains en mauvais état !!

Il manque des pages, ainsi les articles publiés sont incomplet, mais cela reste compréhensible …

Ici il manque un ou des articles … pour le moins celui du 25 septembre 1944

Marc JUGE, commissaire de police à Vichy, fusillé par la gestapo le 24 mars 1944

(Suite)

Le 13 mars, grâce au garde allemand, Chautard peut parler à Juge et lui dit :

« Ce soir on prendra tous les deux l’apéritif au Majestic »

Hélas seul Chautard est libéré, sur intervention de son Directeur, une heure avant le départ de Juge, Moreau et Chabrier, pour Clermont, le 13 mars, et Chautard, qui avait été accusé de complicité, nous dit :

« Je sais que Chabrier et Juge ont tout fait pour me disculper et auraient donné leur vie plutôt que de fournir une information qui ait pu me porter préjudice ».

Arrivés à la prison militaire du 92 à Clermont Ferrand, le lendemain , ils tous trois condamnés à mort après avoir signé des déclarations en allemands qu’ils ne comprennent pas, on les mets en cellule avec Des Pradelles(1), Brichmann(2) et Klein.

Le 24 mars, avant de partir à la mort, ils ont inscrit leurs noms sur les murs de leur cellule. A 6 heures du soir, on vient les chercher et c’est au chant de La Marseillaise qu’ils sont allés au peloton d’exécution. Où les a-t-on fusillés ? Les fossoyeurs savent seulement qu’à 7 heures, on leur a apporté 6 corps et qu’ils ont creusé des tombes qui ont été mystérieusement fleuries pendant 5 moid et demi.

Depuis le 18 janvier, Mme Juge n’a jamais revu son mari, elle n’a jamais pu lui écrire ni recevoir de lettres. Son linge c’est tout ce qu’elle a pu recevoir et apporter. Aucune gâterie, aucune provision pour lui adoucir sa détention. Le 17 mars, on lui refuse son linge en disant : « Parti … convoi ».

Le 1er avril 1944, ironie des dates, Mme Juge reçoit une lettre de son mari, au crayon, d’une écriture soignée, précise et parfaitement calme. La main n’a pas tremblé. Une seule rature; ce sont les allemands qui l’ont faite et qui ont remplacé le chiffre du nombre de prisonnier par le mot vague « plusieurs » selon le principe de la censure qui a des droits même sur les lettres des mourants. Il y a aussi une lettre pour le petit Jean Paul âgé de 12 ans et une pour le père et la mère de Juge. Voici ces lettres :

Clermont-Ferrand, le 22 mars 1944

Ma chèrie,

Après deux mois passés de détention, j’ai enfin l’autorisation de t’écrire et c’est pour te dire adieu. J’ai été transféré de Moulins à la prison militaire allemande de Clermont-Ferrand, lundi de la semaine dernière, et le lendemain, nous sommes passés devant le Conseil de Guerre qui nous a tous condamné à la peine de mort, sous l’inculpation d’espionnage. Depuis ce moment, nous sommes plusieurs condamnés dans la même cellule …….. qui attendons la suite qui va être donnée au recours en grâce que nous avons formulé. La décision qui doit intervenir avant la fin de cette semaine ne fait pour nous tous aucun doute, et quand tu recevras cette lettre je serai fusillé.

La mort ne fait pas peur pour moi-même et notre moral à tous est des plus élevés. Nous attendons très patiemment, sans hâte, sans fébrilité et les jours passent en discussions amicales et en parties de belote. Cependant en nous mêmes, nous ne pouvons nous empêcher de repousser le motif d’inculpation qui a servi à nous condamner. Nous, des espions ? Vraiment, je ne le croyais pas, mais la guerre a des exigences terribles que l’on ne peut discuter. Et, crois moi, quoique notre faute soit légère, nous saurons mourir en Français, la tête haute et le regard droit.

Mes seuls regrets sont pour vous, pour mon petit Jean-Paul, surtout que je l’abandonne dans la vie au moment ou il aurait le plus besoin de moi, et aussi pour mes vieux parents que ma mort va tuer. Je te demande avant de mourir d’être très bonne pour eux, d’élever notre fils pour qu’il devienne l’homme que j’aurais voulu en faire. J’espère que la tâche que je te laisse ne sera pas trop lourde et que tu trouveras les appuis nécessaires. Pour l’immédiat, je suppose que tu as continuer à toucher mon traitement, d’autre part Chautard a des instructions.

J’espère aussi qu’on te remettra le linge que j’ai avec moi. Tu trouveras dans ma valise avec mes objets de toilette, ma chevalière, mon alliance, mon bracelet, mon briquet et ma montre, tout cela pour Jean-Paul qui les conservera comme souvenir.

Pardonne moi la peine que je te fais et la charge que je te laisse. Il vaut mieux mourir que se déshonorer.

Je t’aime et t’embrasse. Adieu

Le 24-3, 17 h – Notre pourvoi a été rejeté. Dans une heure, je serais mort.

Je t’embrasse encore.

Le 22-3-44

Mon Petit Jean-Paul Chéri,

Voici la dernière lettre que tu recevras de moi, mon grand chéri, car dans quelques jours, dans quelques heures peut être, je serais fusillé. Tes 11 ans te permettrons de comprendre de comprendre maintenant et je ne veux pas partir sans t’affirmer que tu n’as pas à rougir de ton père, au contraire.

J’ai toujours fait ce que j’ai considéré comme mon devoir, sans m’en laisser distraire par aucune considération, aussi je meurs la tête haute, sans que ma conscience ne me reproche rien.

J’espère que dans la vie tu suivras mon exemple. Soit toujours loyal et bon. Travaille pour te faire une situation, travaille deux fois plus maintenant que je ne suis plus près pour t’aider, et que le mensonge et la trahison, soient toujours pour toi un objet d’honneur.

N’oublie jamais qu’on ne peut pas vivre sans l’approbation de sa conscience.

Je t’aime mon petit Jean-Paul chéri, et je t’embrasse en te disant adieu.

Marc

Voici maintenant la fin de la lettre de Juge à ses parents :

Clermont, le 24 mars 1944

Mon cher Papa, ma chère Maman,

Je ne regrette rien pour moi, la mort ne me fait pas peur et la vie n’est pas assez belle pour qu’on puisse la regretter, mais je vous demande bien pardon, à vous deux, de la peine immense que je vais vous causer. C’est la mon seul regret. Nous sommes en ce moment plusieurs dans la même cellule qui attendons le résultat du recours en grâce que nous avons formulé ; le résultat ne fait aucun doute, et quand vous recevrez ce petit mot, je serais fusillé.Sans doute doute le tribut que tu as payé à la guerre n’était pas suffisant mon pauvre vieux et il fallait que j’en sois de ma vie. Mais vous pouvez malgré tout cela être fier de votre fils. Je n’ai rien à me reprocher et je mourrais la tête haute.

Encore une fois, je vous demande bien humblement pardon. Veillez sur mon pauvre petit Jean-Paul qui sera malheureusement la plus grande victime de la situation

Je vous embrasse bien tendrement.

Marc

Juge avait trente deux ans.

(A suivre)

A. BAPTISTE

Ici il manque l’article du Mercredi 27 septembre 1944

******

Doutant encore, Mme Juge va à Clermont à la prison du 92e. Le, le capitaine interprète qui a assisté aux derniers moments de Juge, dit à sa femme : « Madame, il a eu une fin extrêmement courageuse. Il est mort en héros ».

Pourtant, ils ont dit : « Nos pauvres femmes, qu’est ce qu’elle vont devenir ? « 

Mme Juge demande alors :

– Pouvez-vous me dire ou ils sont enterrés ?

– Pardonnez-moi, excusez moi, je ne le puis pas. Mais allez voir le capitaine Wilkins, à l’Etat-Major.

Madame Jauge regagne la Place de Jaude et le capitaine Wilkins, et lui dit :

– Je viens vous demander si mon mari est mort ou vivant.

-Je n’en sais rien répondit-il, arrogant.

– Dites moi quel est le numéro de sa tombe ?

– Je ne peux pas Madame.

– Pourquoi l’avez vous fusillé ?

– Ça, c’est une autre paire de manche (sic), fit il en levant les bras.

– C’était un grand Français et un grand patriote, vous n’aviez pas le droit de le fusiller !!

– Peut être, mais il aurait pu être amené à faire quelque chose contre l’armée allemande et, les évènements se précipitant, nous devons prendre des mesures préventives.

C’est l’aveu que les allemands l’ont condamnés sans preuves …

D’ailleurs le brouillon de son recours en grâce et les lettres de Chabrier prouvent qu’après les tortures sans nom, les accusés ont signés des déclarations en allemand qu’ils n’avaient pas compris.

Des motifs ? Ils n’en manquent pas. Non seulement Juge s’attaque au protégé d’Abetz, Darnand. En effet, alors qu’il était jeune inspecteur à la police judiciaire, il avait été chargé, au moment de l’affaire des « cagoulards », d’enquêter sur Joseph Darnand, puis de l’appréhender.

Or n’oublions pas qu’en janvier 1944 Darnand est au pouvoir !

Voici un autre motif possible : un nommé Génin, arrêter pour avoir revendu à Geissler, chef de la gestapo, de l’essence appartenant au Ministère du Travail, qu’on lui avait donné à garder, avait en outre dénoncé les réfractaires à raison de 2000 francs l’un. Juge et ses collaborateurs voulaient naturellement garder Génin, l’essence volée était un motif valable sous Pétain, mais Parmentier, directeur de la police, avait donné l’ordre de le relâcher.

Juge lui avait alors dit en présence de ses collaborateurs : « Tu sais, si par ta faute, il arrive malheur à l’un de nous quatre, tu auras douze balle dans la peau. »

Enfin, souvenons nous de la rancune de Batissier et d’Ezzinger. C’est d’ailleurs ce dernier qui présidait l’interrogatoire à Moulins !

Enfin, peu de temps avant son arrestation, M. Juge avait reçu une lettre de menaces, postée à Paris, Rue de la Boétie, et ainsi conçue : « Par ta propagande et ton action, tu te fais complice des communistes et des francs maçons, etc … , au prochain attentat contre l’un des nôtre dans ton département, tu seras frappé par nous. Signé : Comité d’action. »

Mme Juge revient à Vichy. Elle ramène de Clermont la petite valise de son mari et quelques vêtements particulièrement sales. Plusieurs articles, des vêtements, le briquet, le stylo et le porte mine de grande valeur ont disparu ainsi que le portefeuille vidé de ses 4000 francs.

Avec son petit Jean Paul de 12 ans, Mme Juge était sans ressources. Elle avait en outre à s’occuper de ses beaux parents âgés et malades, accablés de chagrin.

Naturellement, Darnand ordonna de cesser le paiement des salaires de son mari.

On la met en demeure de rembourser le « trop perçu », c’est à dire le traitement que Juge a touché depuis sa condamnation.

A la direction du personnel, on lui dit : »tre mari est mort, nous n’avons donc plus à vous payer ».

Mais quand il s’agit de verser les secours au décès, la direction déclare : »Rien ne nous prouve qu’il est mort ». Mieux, à la direction dite des « œuvres sociales » qui déclare : »Votre époux n’est pas mort victime du devoir ».

En tout cas toute la police et l’opinion publique demandent qu’il soient vengé, que les responsables de sa mort soient découverts et châtiés et que son nom et sa veuve soient honorés comme ils le méritent.

En face des fonctionnaires de la police qui se sont vendus aux allemands, comme ceux de la section Poinsot, ou comme certains GMR et gardes mobiles ou gendarmes, le Commissaire de Police Marc Roland JUGE restera le symbole de ceux qui ont su rester Français et tenir tête à l’allemand.

Il était parmi les policiers honnêtes qui s’attaquent au grand coupable haut placé mieux protégé et plus difficile à abattre que le petit délinquant.

Pour ses collaborateurs, il reste l’exemple du policier populaire mettant de l’idéal dans son métier et sachant faire la police en grand seigneur avec le peuple et non contre lui.

A. BAPTISTE

A la veille d’obsèques solennelles

Les corps de Juge, Moreau et Chabrier ont été transportés samedi à Vichy

(De notre envoyé spécial) :

Samedi matin, à 9 heures, dans le cimetière des Carmes à Clermont, dans un enclos palissadé, quinze cercueils sont allongés sur l’herbe, sous la pluie fine.

Des cercueils standard allemands, imprégnés de carbonyl, étroits et minces, car l’esprit d’organisation tant vanté par les collaborateurs a uniformisé et rationné jusqu’aux cercueils.

Ces cercueils allemands contiennent des patriotes qui furent fusillés les 23, 24, 26 mars et 10 mai de cette année au fond du long stand de tir du 92 à Clermont, où l’on peut voit encore deux poteaux où ils étaient attachés. On venait les chercher vers six heures. Au cimetière des Carmes, les fossoyeurs étaient déjà prévenus et les gosses prêtes. Au préalable un agent de la gestapo avait visité l’emplacement des tombes. Elles devaient être éloignées de 50 mètres les unes des autres (au début la gestapo avait exigé 100 mètres) et creusées dans le bout d’une allée, selon la technique mise au point par l’hitlérisme en onze ans de règne, pour empêcher toutes manifestations dans les cimetières. D’ailleurs quand, vers sept heures, la gestapo apportait les cercueils déjà fermés, des allemands armés de mitraillettes occupaient les issues et faisaient évacuer le cimetière. Les bières étaient descendues dans les fosses et couvertes par les hommes de la gestapo. Sous leur surveillance les fossoyeurs faisaient le reste. « Le m’arrangeais, nous dit l’un, un Portugais, pour que la terre soit un peu plus haute, pour qu’on ne marche pas dessus dans l’allée. »

Les familles arrivent. On enlève les couvercles des cercueils qui portent un numéro correspondant au jalon à chiffre rouge sur fond noir qui seul indiquait la tombe. (On a pu voir ces jalons au pied des cercueils exposés à la Galerie Napoléon à Vichy).

On procède à la reconnaissance des corps, car jusqu’ici chaque parent de fusillé fleurissait régulièrement toutes les tombes sans savoir laquelle était la sienne.

(Suite en deuxième page)

(suite de la première page)

Dans ces cercueils gisent des Alsaciens réfugiés à Clermont, le chef de cabinet de l’intendant de police de Clermont, Weilbacher, l’instituteur Alfred Klein et son cousin Rischman, Rudolphe Rischman qui s’est marié le jour même de son exécution [Faux:marié le 1er juillet 1938], Peyrol, Saumonde, Despradelles.

Trois habitants de Randan : le marchand de vélos Méry, le boucher Barjetaz, père de famille et un jeune homme de 22 ans, tendrement aimé par ses parents, Marcel Fontaine, le colonel Boutet. Deux corps que nul n’est venu reconnaître (13 et 14). Enfin trois Vichyssois : Moreau (4), Juge (5), Chabrier (6), fusillés le 24 mars avec Despradelles, Klein et Rischmann.

A quelques mètres au dehors de l’enclos, le long de l’allée, 14 tombes « d’aviateurs anglo-américains inconnus », de ceux qui ont pu bombarder Aulnat et les Gravanches efficacement grâce aux renseignements très précis fournis par certains des 15 patriotes qui gisent à quelques mètres d’eux.

Les figures et les cheveux des fusillés sont noircis, les orbites sont vides, mais malgré tout le cœur ne se trompe pas. « C’est lui ! C’est lui ! » dit une femme et elle fond en sanglots en reconnaissant son mari. Mme Juge reconnaît son fils immédiatement : son instinct de mère a parlé. Elle s’efforce en vain d’épargner la triste vision à sa belle-fille qui est à bout de forces.

A côté du corps du commissaire de police, se trouve celui du sergent-chef d’aviation Henri Moreau, en relations avec Juge et Chabrier, et chef de groupe d’un centre de renseignements de Vichy qui était en contact avec Londres et qui à ce titre a dû subir Dieu sait quelles tortures. Sa femme n’est pas là. Elle est en Silésie, déportée.

Le commandant Vieujot et une infirmière de la Croix-Rouge reconnaissent Moreau grâce à ses vêtements : pull-over et chaussures de l’armée de l’air.

Chabrier, ce représentant de commerce de Vichy, doit aussi être reconnu par des amis. Sa femme, comme celle de Moreau, étant détenue en allemagne. Fait étrange, il porte des gants. Ses bourreaux ont-ils voulu masquer quelque mutilation ? On sait qu’à l’issue de leur interrogatoire Chabrier et Juge avaient été emmenés sur une civière.

Autour du cercueil de Juge, avec son frère, sa mère, sa femme, deux de ses collaborateurs immédiats dans l’action qu’il a menée à Vichy Sud, l’inspecteur Jeanjan, chef du service de sûreté du commissariat de Vichy Sud, et son secrétaire Chautard, co-détenu de Juge Moreau et Chabrier à Moulins.

Malgré les tortures sans nom qui lui ont été infligées, Juge a gardé quelque chose de son aspect de grand seigneur qu’on lui a toujours connu, et son ami et collaborateur Chautard pleure silencieusement. Autour de la bouche de Juge, un bâillon. On l’a bâillonné avec son foulard pour étouffer sa Marseillaise vengeresse.

Après son voisin Chabrier, ce sont Alfred Klein et Richmann qui portent chacun à leur boutonnière une petite houppe tricolore formée de brins de laine. Depuis combien de temps la porte-t-il ? L’ont-ils misent pour leur mort ? Ils ont tous les deux les mains liées par un morceau de câble électrique, qui a sans doute servi aussi à les attacher au poteau d’exécution. Mais les bourreaux ont tellement serré qu’on en voit la preuve plus loin sur le boucher Barjetaz dont les poignets ont été profondément entamés.

Plus effrayant que tout, peut-être, c’est ce rectangle de papier accroché au revers de la veste de Klein et de plusieurs autres, un rectangle blanc avec un rond noir. C’est la cible et le rond noir indique la place du cœur. On voit encore la place des balles qui ont traversé le papier.

Le docteur Fourcade recherche les orifices de balles. Juge a reçu 8 balles au cœur et seul de ses six camarades il a reçu le coup de grâce nazi, une balle dans la nuque. En outre, on lui a pris ses chaussures et ses lunettes, tandis qu’on a soigneusement déposé à côté de son corps dans le cercueil les sabots du numéro 13 et que Saumonde a gardé ses pantoufles.

Avec des ciseaux, le docteur Fourcade explore les poches des fusillés : mouchoirs qui s’en vont en lambeaux, peignes, canifs. Autour d’un demi bouchon, papier plié. Un bouchon évidé, un porte-cartes d’identité. On recueille précieusement ces papiers humides qu’on déchiffrera plus tard. Chez tous, on a trouvé quelque papier permettant de confirmer l’identification. Dans la poche du numéro 13, inconnu jusque là, on trouve une enveloppe contenant des photos d’une famille nombreuse sur laquelle une écriture allemande a inscrit : « Monnay Marcel, Le Portel (Pas-de-Calais), né à Cuffy (Cher) ».

Quant au numéro 14, il n’a aucun papier sur lui et le médecin doit faire noter minutieusement sa taille, sa dentition, sa pointure de chaussures et prélever des morceaux de vêtements.

Ces cibles humaines, les mains attachées, les poignets entamés, les visages noircis, suscitent les indignations des assistants. « Et ils parlent d’indulgence, ils disent qu’on a fait assez de répression ! » – Non ! Car tout ce mal a pu être fait grâce à des français. Que ceux là entendent les paroles de la mère de Marcel Fontaine, ce jeune homme de 22 ans : « Ils ont été dénoncés par Chomel et Lagoutte. Celui-ci était cagoulard, tu pouvais bien être républicain. Il a dix enfants, je voudrais qu’on lui en tue trois pour qu’il voit ce que c’est que de tuer les enfants des autres ! »

Sans aller jusque là, nous espérons et savons que tôt ou tard justice sera faite. C’est pourquoi nous verrons avec satisfaction la Cour martiale siégeait lundi à l’hôtel du Parc, car justement les affaires qui seront jugées lundi ont été instruites par le commissariat de Vichy Sud, celui de Juge. Que la Cour martiale soit sans faiblesse ! Ce sera la meilleure réponse à ceux qui l’ont vendu.

*

**

La délégation officielle de la police avait à sa tête M. Weigel, commissaire de police de Vichy Sud, représentant M. le directeur général de la sûreté nationale, et comprenait les inspecteurs Jeanjan, Chalot et Defournioux et le secrétaire Chautard, ceux-ci étant tous d’anciens collaborateurs de M. Juge.

La ville de Vichy était représentée par son maire, M. Barbier, et le commissaire de police de Clermont-Ferrand représentait le secrétaire régional pour la police.

Les honneurs ont été rendus sur place, à M. Juge, par un détachement des gardiens de la paix du corps urbain de Vichy, ayant à sa tête l’officier de paix Cantat, et à Moreau, par un détachement de l’armée de l’air conduit par le commandant Vieujot.

Parti de Clermont-Ferrand, à 13 heures, le convoi ramenant les corps de MM. Juge Chabrier et Moreau est arrivé à Vichy à 15 heures devant la Galerie Napoléon. Il a été reçu par M. Sicot, directeur général de la sûreté nationale représentant le gouvernement ; le commandant Vieujot, représentant les ministère de l’air ; M. Mazerolles, adjoint représentant le Maire de Vichy ; M. Jongleux, commissaire divisionnaire, chef du district de police de l’arrondissement de Vichy, etc …

A la descente des corps, les honneurs ont été de nouveau rendus par l’armée de l’air et le corps de police et ceux-ci ont été placés côte à côte dans la chapelle ardente où ils sont restés exposés jusqu’à leur levée qui a eu lieu ce matin. Ajoutons que les obsèques seront célébrées par Mgr l’évêque de Moulins.

A. Baptiste

A la mémoire de Marc-Roland JUGE

Commissaire de Police de Vichy

Torturé et fusillé par la gestapo

par Henri LAVILLE

***

Des Moulinois sont venus me voir qui m’ont dit : « Nous aimerions bien que vous parliez un peu de ce pauvre Marc Juge dans votre journal. Que vous racontiez son martyre, sa mort héroïque et surtout que vous citiez ses dernières lettres qui sont si belles. »

A quoi j’ai répondu :

« Notre confrère La Patrie de Vichy, a fait cela déjà. Il lui a consacré de nombreux et émouvants articles. Que pourrais-je ajouter ? »

– Ce sont ses amis d’ici qui vous le demandent. Car Marc Juge avait beaucoup d’amis à Moulins. Il y est né en 1911 ; il y a fait ses études, il y a exercé les fonctions de secrétaire de police après avoir travaillé à la Société générale et chez Me Tixier. Et peut-être savez-vous que ses parents sont concierges à la verrerie de Souvigny ? »

Après Moulins, Paris, puis Vichy en 1940, Marc Juge est commissaire de police de 2e classe dans la capitale provisoire. Mais sous le couvert de ses fonctions officielles il a sa façon a lui de résister en poursuivant pour des motifs de droit commun les indicateurs de la Gestapo. Ces choses-là ne se pardonnent pas. Le 18 janvier 44, on l’arrête, on le conduit chez Gessler, le grand chef. C’est le triste Bâtissier(1) qui le reçoit, le fameux « capitaine Schmitt », hauptmann de S.S. dont la sœur est la maîtresse de Gessler. Juge est jeté nu dans un cachot après avoir été copieusement matraqué. Méthode Bâtissier. Dix jours plus tard, il est à la Mal-Coiffée. Ceux qui ont lu dans ce journal le calvaire de Me Tinland imagineront sans peine le sort qu’on pouvait réserver à un policier de la résistance !

Le patriote à qui l’on a cassé sur la tête, une chaise massive, pied par pied, c’était lui. Et son cachot était semblable à celui qu’occupait Me Tinland dans le « mitard » : 2 m. sur 2 m., ténèbres complètes, paille pourrie. Mêmes tortures morales, et tortures physiques pires encore. Et quel courage pourtant : un jour les bourreaux qui l’interrogent sont obligés de faire évacuer les cellules voisines pour qu’on n’entende pas les injures qu’il leur crache en pleine face ! Et quel cœur aussi : dans la chambre commune du 1er étage où on l’a remonté par un froid glacial, il offre son pardessus à Tinland qui grelotte, il lui donne son foulard.

Après trois mois de Mal-Coiffée, on le dirige sur Clermont ; on l’incarcère à la prison militaire de 92 ; le lendemain il est condamné à mort avec Chabrier et Moreau, deux autres vichyssois, qu’on accuse comme lui d’espionnage.

C’est de sa cellule, où il attend sa dernière heure qu’il écrit pour la dernière fois aux siens, sans se départir de ce calme et de ce courage qui ont depuis toujours, autour de lui, forcé l’admiration.

Clermont-Ferrand, le 22 mars 1944.

Ma chérie,

Après deux mois passés de détention, j’ai enfin l’autorisation de t’écrire et c’est pour te dire adieu … La mort ne me fait pas peur pour moi-même et notre moral à tous est des plus élevés. Nous attendons très patiemment, sans hâte, sans fébrilité et les jours passent en discussions amicales et en parties de belote. Cependant, en nous-mêmes, nous ne pouvons nous empêcher de repousser le motif d’inculpation qui a servi à nous condamner. Nous, des espions ? Vraiment, je ne le croyais pas, mais la guerre a des exigences terribles qu’on ne peut discuter. Et, crois-moi, quoique notre faute soit légère, nous saurons mourir en Français, la tête haute et le regard droit.

Mes seuls regrets sont pour vous, pour mon petit Jean-Paul surtout, que j’abandonne dans la vie au moment où il aurait le plus besoin de moi, et aussi pour mes pauvres vieux parents que ma mort va tuer. Je te demande avant de mourir d’être très bonne pour eux, d’élever notre fils pour qu’il devienne l’homme que j’aurais voulu en faire. J’espère que la tâche que je te laisse ne sera pas trop lourde et que tu trouveras les appuis nécessaires. Pour l’immédiat je suppose que tu as continué à toucher mon traitement … J’espère aussi qu’on te remettra le linge que j’ai avec moi. Tu trouveras dans ma valise avec mes objets de toilette, ma chevalière, mon alliance, mon bracelet, mon briquet et ma montre, tout cela pour Jean-Paul qui les conservera comme souvenirs.

Pardonne-moi la peine que je te fais et la charge que je te laisse. Il vaut mieux mourir que se déshonorer.

Je t’aime et l’embrasse. Adieu.

Le 24-3, 17 h. – Notre pourvoi a été rejeté, dans une heure, je serai mort. Je t’embrasse encore.

(A suivre en page 2)

(Suite de la 1ere page)

Le 22-3 1944

Mon petit Jean-Paul chéri,

Voici la dernière lettre que tu recevras de moi, mon grand chéri, car dans quelques jours, dans quelques heures peut-être, je serai fusillé. Tes 11 ans te permettront de comprendre maintenant et je ne veux pas partir sans t’affirmer que tu n’as pas à rougir de ton père, au contraire.

J’ai toujours fait ce que j’ai considéré comme mon devoir, sans m’en laisser distraire par aucune considération, aussi je meurs la tête haute, sans que ma conscience ne me reproche rien.

J’espère que dans la vie tu suivras mon exemple. Sois toujours loyal et bon. Travaille pour te faire une situation, travaille deux fois plus maintenant que je ne suis plus près de toi pour t’aider, et que le mensonge et la trahison soient toujours pour toi un objet d’horreur.

N’oublie pas qu’on ne peut pas vivre sans l’approbation de sa conscience.

Je t’aime mon petit Jean-Paul chéri, et je t’embrasse en te disant adieu.

Clermont, le 24 mars 1944

Mon cher papa, ma chère maman,

Je ne regrette rien pour moi, la mort ne me fait pas peur et la vie n’est pas assez belle pour qu’on puisse la regretter, mais je vous demande bien pardon, à vous deux, de la peine immense que je vais vous causer. C’est là mon seul regret. Nous sommes en ce moment plusieurs dans la même cellule qui attendons le résultat du recours en grâce que nous avons formulé ; le résultat ne fait aucun doute, et quand vous recevrez ce petit mot, je serai fusillé. Sans doute le tribut que tu as payé à la guerre n’était pas suffisant mon pauvre vieux et il fallait que j’en sois de ma vie. Mais vous pouvez malgré cela être fiers de votre fils, je n’ai rien à me reprocher et je mourrai la tête haute.

Encore une fois, je vous demande bien humblement pardon. Veillez sur mon petit Jean-Paul qui sera malheureusement la plus grande victime de la situation.

Je vous embrasse bien tendrement. Marc

Le 24 mars, à 6 heures du soir, on vient les chercher, lui et ses compagnons. On les mène au Stand de tir du 92, on les attache aux poteaux, tandis qu’ils chantent la « Marseillaise ». Pour étouffer la voix vengeresse de Juge on le bâillonne avec son foulard !

8 balles au cœur, une balle dans la nuque. Il avait 32 ans.

Et maintenant, écoutez le dialogue de sa veuve et du capitaine allemand auquel elle vint demander des détails, après sa mort :

« Pourquoi l’avez-vous fusillé ?

– Çà c’est une autre paire de manches !

– C’était un grand Français et un grand patriote, vous n’aviez pas le droit.

– Peut-être, mais il aurait pu faire quelque chose contre l’armée allemande et, les événements se précipitant, nous devons prendre des mesures préventives. »

C’était cela leur force !

Henri LAVILLE

Journal Valmy 28 octobre 1944

(1) Batissier: Condamné pour intelligence avec l’ennemi, il est fusillé en juillet 1946

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