
« LE CHANT DES PARTISANS »,
musique de Anna MARLY, paroles de Joseph
KESSEL et Maurice DRUON, 1943.
Léo FERRÉ
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourd du pays qu’on enchaîne ?
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme.
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.
Montez de la mine, descendez des collines, camarades !
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades.
Ohé, les tueurs à la balle ou au couteau, tuez vite !
Ohé, saboteur, attention à ton fardeau : dynamite…
C’est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères.
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère.
Il est pays où les gens au creux des lits font des rêves.
Ici, nous, vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève…
Ici chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passe.
Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.
Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute…
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourd du pays qu’on enchaîne ?
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme.

Le Déserteur
Boris VIAN
Monsieur le Président,
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps.
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir.
Monsieur le Président,
Je ne veux pas la faire,
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens.
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise,
Je m’en vais déserter.
Depuis que je suis né,
J’ai vu mourir mon père,
J’ai vu partir mes frères,
Et pleurer mes enfants.
Ma mère a tant souffert,
Elle est dedans sa tombe,
Et se moque des bombes,
Et se moque des vers.
Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme,
On m’a volé mon âme,
Et tout mon cher passé.
Demain de bon matin,
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai sur les chemins.
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France,
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens:
Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer

« Nuit et Brouillard » (en allemand Nacht und Nebel, ou NN) est le nom de code des « directives sur la poursuite pour infractions contre le Reich ou contre les forces d’occupation dans les territoires occupés ». C’est un texte pour réprimer tous les opposants politiques désignés au Régime nazi.
Elles sont l’application d’un décret du 7 décembre 1941 qui ordonne la déportation de tous les ennemis ou opposants du Troisième Reich.
En application de ce décret, il était possible de transférer en Allemagne toutes les personnes représentant « un danger pour la sécurité de l’armée allemande » (saboteurs, résistants, opposants ou réfractaires à la politique ou aux méthodes du Troisième Reich) et à terme, de les faire disparaître dans un secret absolu.
Majoritairement français, belges ou hollandais, les détenus qui sont identifiés par les Allemands comme relevant du statut NN n’auront connaissance de leur statut qu’après la guerre. Ils voient bien qu’ils ne reçoivent ni courrier ni colis. Ils ignorent que les lettres qu’ils écrivent ne sont pas transmises. Si tous les déportés ne sont pas NN, tous les NN sont déportés. Ils ne sont pas tous condamnés à mort ; nombre d’entre eux sont sous le coup de condamnations à des peines de prison ou de travaux forcés. Les détenus en fin de peine sont « mis au camp » sans qu’une durée ne soit définie. Dès l’arrivée de ces détenus dans les camps, les lettres NN, de couleur rouge ou jaune selon les catégories, sont peintes sur leurs vêtements. Ils subissent particulièrement les violences des gardiens SS ou des kapos.
À l’automne 1944, devant l’échec manifeste de la politique NN (la dissuasion est nulle, le nombre d’insurgés augmentant sans cesse), le régime NN est partiellement levé. Les Allemands vident leurs prisons et leurs bagnes surpeuplés des détenus NN. Ils sont mis au régime commun dans les camps de concentration où les résistants sont envoyés sans procédure ni jugement.
Nuit et Brouillard
Jean FERRAT
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été
La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs
Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir
Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux
Ils n’arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues
Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers
On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours
Qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire
Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare
Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter?
L’ombre s’est faite humaine, aujourd’hui c’est l’été
Je twisterais les mots s’il fallait les twister
Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez
Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent

La complainte du partisan
Paroles Emmanuel d’Astier de La Vigerie
Musique Anna Marly
Mouloudji
Les Allemands étaient chez moi
On m’a dit « Résigne-toi »
Mais je n’ai pas pu
Et j’ai repris mon arme
Personne ne m’a demandé
D’où je viens et où je vais
Vous qui le savez
Effacez mon passage
J’ai changé cent fois de nom
J’ai perdu femme et enfants
Mais j’ai tant d’amis
Et j’ai la France entière
Un vieil homme dans un grenier
Pour la nuit nous a cachés
Les Allemands l’ont pris
Il est mort sans souffrance
Hier encore, nous étions trois
Il ne reste plus que moi
Et je tourne en rond
Dans la prison des frontières
Le vent souffle sur les tombes
La liberté reviendra
On nous oubliera
Nous rentrerons dans l’ombre

L’Affiche Rouge
Paroles de Louis ARAGON
Musique de Léo FERRE
Bernard LAVILLIERS
Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vit’ onz’ ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuits hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui va demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle est que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant